Reportage
Trémuson, aéroport de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), samedi, 13 h. Vingt bahuts, trente peut-être, sont alignés dans la neige. Les chauffeurs, accoudés au zinc dans la chaleur du restaurant routier, ne décolèrent pas contre le préfet, qui les tient bloqués dans cet endroit désert depuis la veille.
« Je suis arrivé d'Avignon hier soir. À 20 h, ma boîte m'appelle de Landivisiau pour me dire de m'arrêter. Il est 13 h 30 et la préfecture n'a toujours pas donné d'information. À l'heure de la communication, c'est inadmissible ! », tonne Philippe, un des nombreux routiers, en stand-by à L'Envol, restaurant posté le long de la RN12, à Trémuson.
Pas de couchage
Le maire Gérard Le Gall est déjà passé à minuit voir les naufragés de la route. Il est revenu ce samedi midi et, gentiment, propose une salle, le temps pour Daniel Garandel, le restaurateur, de faire une pause, avant de rouvrir à l'aube ce dimanche.
Pour lui, c'est presque non-stop depuis jeudi. 90 camions un jour, 50 le lendemain. Des Hongrois, Hollandais, Slovaques... Aujourd'hui, le personnel du restaurant est en congé, c'est donc en famille qu'on compense pour accueillir les routiers déroutés. Lui aussi peste contre la préfecture : « On est une dizaine de restos routiers dans le département. Pourquoi on ne nous prévient pas quand va tomber l'arrêté d'interdiction de rouler ? Les arrêtés se succèdent, s'arrêtent, personne ne sait rien ! »
À L'Envol, on s'est couchés à presque 2 h du matin ce samedi, pour revenir à 8 h. Les autres jours, à 5 h, la porte est ouverte. Ce dimanche matin, Daniel et Roselyne Garandel proposeront la douche aux camionneurs bloqués depuis 48 heures. Hier, ils ont rapproché de Guingamp des chauffeurs coincés à un quart d'heure de leur domicile.
L'attente sans rien savoir est d'autant plus mal acceptée que des camions autorisés par dérogation circulent : « Ils ont les mêmes essieux que nous et peuvent rouler, eux. Certains d'entre nous ont du frais. D'autres qui circulent habituellement dans la région n'ont pas prévu de couchage », râle Marc, un routier malouin.
Route de l'Ouest impraticable
Les compagnons d'infortune plaisantent pour supporter l'attente. Beaucoup comparent les conditions météo d'autres pays européens « plus touchés par les intempéries et dans lesquels on n'est pas bloqué par 10 cm de neige ».
Fabrice Masson, patron de Guingamp Transport, est venu chercher deux de ses chauffeurs. Voici son sentiment : « Dans la côte du Douron à Belle-Isle ce matin, les gendarmes ont libéré des camions, pourquoi pas ici ? Sur vingt camions, j'en ai huit entre Rennes et ici. Une journée bloquée, c'est 15 000 €. »
17 h, les chauffeurs partant vers Rennes sont autorisés à repartir. Dans la confusion. Pour les autres, la route de l'Ouest, toujours impraticable.
Marie-Claudine CHAUPITRE.